• Publié le 3 juin 2025
  • Auteur·e : Camille Kingué
  • Temps de lecture : 8 minutes
  • Confessionnal

    On m’a demandé d’écrire, à partir de ma pratique, un texte sur la résidence artistique d’Auriane Preud’homme à La Galerie, centre d’art contemporain de Noisy-le-Sec. Ce qui s’est détaché lorsque j’ai échangé avec Auriane est le dispositif du confessionnal. Au départ, ce fut le thème de l’amitié. J’avais pour projet de traiter de l’amitié en analysant l’absence d’amitié entre femmes dans Les Rendez-vous d’Anna de Chantal Akerman mais cet écrit n’a jamais vu le jour (je ne sais pas si je poursuivrai ce texte plus tard mais il me semblait important de parler de l’absence, du possible, de ce qui n’est pas advenu).

     

    Le confessionnal occupe une place importante dans la performance écrite par Auriane dans le cadre de sa résidence. Pour l’écrire, elle s’est basée sur les échanges qu’elle a eus avec des habitantes de Noisy-le-Sec et dont certaines sont devenues comédiennes pour la pièce. Le script est le suivant : des femmes vivent entre elles, dans une grotte et n’ont pas accès au dehors. Elles sont en totale autonomie. Ce mode de vie leur a été imposé suite à un désastre dont on ne connait pas la nature (est-ce à cause d’une catastrophe nucléaire, d’une catastrophe naturelle ?). Dans la performance, Auriane recrée un dispositif de confessionnal inspiré par la télé-réalité. Les comédiennes s’isolent et se tournent vers l’auditoire pour raconter leurs impressions et les émotions qui les traversent. Lorsque je demande à Auriane pourquoi ce choix du confessionnal, elle me répond que la pop culture a une grande importance dans son travail. Et, dans le cadre de cette performance, le recours au confessionnal répond à des enjeux narratifs et de psychologie : les protagonistes se sont données comme règle de ne jamais parler du « monde chaud ». Le « monde chaud » désigne le monde extérieur à la grotte. Ainsi, avoir recours au confessionnal leur permet d’évoquer le monde dont elles n’ont pas le droit de parler et permet, aussi, à l’auditoire de mieux les comprendre et de saisir ce qui les distingue les unes des autres.

     

    Dans mes textes, il est aussi question de soi. Se dire passe par la mise en scène d’un « je », réel ou fictif, où le sujet évoque son rapport au désir, à la sexualité et à la vulnérabilité. Le « moi » dans mes textes est au centre et la subjectivité qui y est montrée est une subjectivité qui relève habituellement du secret. Le confessionnal est un espace qui conditionne la transgression.

     

    Dans un Dîner presque parfait, par exemple, le confessionnal est l’occasion pour les candidat*es de dire ce qu’iels pensent en coulisse de la cuisine, de l’ambiance et de la décoration de leur hôte et parfois, les locuteurs*rices se livrent à des affirmations terribles. Je me souviens d’un candidat, emportant avec lui une portion de risotto enveloppée dans du papier, le montrant à la caméra et s’époumonant quant au fait que ce plat était un sacrilège.

     

    Ce rapport à l’enfoui, au caché, à ce qu’on ne montre pas en public, est inhérent au dispositif du confessionnal qui s’inscrit dans l’histoire de la religion chrétienne. Le confessionnal est cet espace dans lequel on entre pour énoncer ses péchés. Je note que l’histoire de l’écriture de soi est elle-même liée à l’histoire de la religion ; en effet, Les Confessions de Saint-Augustin sont considérées comme une des premières autobiographies. Un retour sur soi, pour lea pénitent*e est nécessaire dans l’objectif de devenir un*e meillleur*e croyant*e. Je me demande à quelle instance se rattache l’auteur*rice qui écrit sur soi en dehors de toute considération religieuse. Je crois que la morale n’y est pas tout à fait absente. Il s’y cache une recherche de vérité et une recherche presque sacrificielle du don de soi.

     

    La beauté dans le dévoilement de soi est la tension qui existe entre présence et absence de l’autre. Sa présence est nécessaire et niée tout à la fois. Dans un confessionnal de télé-réalité, le corps qui pose les questions se situe hors champ, donnant l’illusion d’une parole immédiate, non dirigée. Dans la performance d’Auriane, lorsque les personnages ont recours au confessionnal, elles s’adressent directement au public, prétendant que les autres comédiennes n’existent plus. Et, dans le confessionnal d’une église, la personne à laquelle on s’adresse a le corps dissimulé derrière une paroi.

     

    Je remarque que le confessionnal de télé-réalité se trouve lui aussi toujours à l’écart, hors du regard. Dans Loft Story ou dans Les Marseillais, il s’agit d’une pièce volontairement artificielle avec des palmiers ou des néons, signifiant que l’espace dans lequel on se trouve est comme suspendu, en rupture avec le reste de l’environnement. Dans Top Chef, c’est dans les cuisines qu’ont lieu les confessions et, dans Un Dîner presque parfait, c’est dans la salle de bains que se réfugient les candidat*es pour exprimer le fond de leur pensée. Dans les deux cas, le confessionnal est un lieu clos, situé soit à l’arrière soit en périphérie où sont effectuées des actions qu’on situe habituellement à l’écart du regard (préparation des plats dans le cadre d’un restaurant, le fait de se laver). 

     

    Le confessionnal s’apparente à une hétérotopie, telle que celle-ci est définie par Foucault dans sa conférence de 1967 intitulée « Des espaces autres ». Ils sont ces espaces différents, en discontinuité avec leur environnement et qui rompent avec son fonctionnement mais ces espaces demeurent nécessaires afin que certaines pratiques puissent se déployer1. Je crois que l’absence de regard (en littérature) ou un regard qui fait semblant de ne pas être là (en télé-réalité ou dans la religion), rend l’impudeur possible. Il y a un paradoxe que la confession entretient avec la présence de l’autre ; elle ne peut s’énoncer sans la présence d’un tiers qui écoute mais cette présence doit être silencieuse et sans yeux. La confession est la matérialisation concrète de la tension qu’il existe entre l’Autre comme obstacle à soi-même (qui nous paralyse) et l’Autre comme condition de réalisation de soi (cet Autre qui nous révèle à nous-même). Un parallèle peut être fait entre le confessionnal en télé-réalité et la surface d’une feuille blanche ; l’assurance d’être vu*e sans ressentir le poids d’un regard rend le dévoilement de ce qui est caché possible. La différence entre les deux est dans la forme ; la première est orale tandis que la seconde prend la forme d’un écrit. Je crois que chacun*e entretient avec l’écrit et l’oralité un rapport différent ; d’aucun*es se dévoileront davantage en parlant d’elleux-mêmes et d’autres, en écrivant sur elleux-mêmes. Et assurément, je fais partie de la deuxième catégorie.

    1 Foucault, Michel. « Des espaces autres. » Conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967, in Architecture, Mouvement, Continuité, no 5 (1984): 46-49.

    CAMILLE KINGUÉ

     

    Camille Kingué vit et travaille à Paris. Elle a obtenu un Master en histoire de l’art à l’EHESS et un Master en management culturel à Sciences Po Paris. Ancienne membre de l’association @contemporaines, elle y a co-fondé Passerelles, un programme de mentorat à destination des artistes femmes et minorités de genre. Elle a publié un premier recueil, Sex I, avec le collectif How To Become dont elle est membre, et Sex 2 avec la maison de micro-édition If A Leaf Falls Press. Elle traite principalement dans ses textes de l’intime, du corps et des affects tels que la mélancolie et la honte, et s’intéresse à la façon dont les structures sociales traversent les individus. Son travail d’écriture prend également la forme de critiques musicales (Musique Journal, Audimat) et de critique en art contemporain (Arcane). Elle travaille sur une traduction de Black Venus FlyTrap de Jeanetta Rich avec le collectif How To Become, une traduction collective de Bite Hard de Justin Chin avec brook editions et un roman à paraitre en 2026 aux éditions Les Petits Matins. Elle est actuellement en poste à l’École Nationale Supérieure d’Arts de Paris-Cergy.

     

    Texte publié dans le cadre de la résidence 2024-2025 d’Auriane Preud’homme.