Je mélange encore mes /en/ et mes /on/ quand je suis fatiguée
Je mélange encore mes /en/ et mes /on/ quand je suis fatiguée, le cours d’éducation spéciale en début d’école primaire, avec tous les enfants d’origine nord-africaine de la classe, n’a pas suffi à totalement assimiler ma prononciation du français.
Pourtant mes cordes vocales me permettent de faire sortir des sons que d’autres ont beaucoup de mal à sortir.
Par exemple, des /h/ légers, comme une expiration.
Mes cordes vocales me permettent d’apprendre facilement d’autres langues aussi.
Mon cerveau y est habitué, passer d’une langue à l’autre, ça ne m’essouffle pas, au contraire.
Des fois, on vient me chercher pour en parler une autre.
Les français·es sont attachés à la langue française, mais parfois they have to be international players1.
Je suis la personne parfaite dans ce genre de cas : Monkey speak !2
Bien sûr, j’ai aussi appris à parler art contemporain, pris note du champ lexical, des tournures de phrases, celles pour rassurer.
Je m’en suis rendu compte dès la deuxième année des beaux-arts, que je savais manier cette langue et qu’on me laisserait faire mon truc si je m’exprimais de la bonne façon.
Mais des fois, mes cordes vocales se figent, la langue française m’étouffe et je m’auto-étouffe avec elle.
Dans ces cas-là, je me tourne moi-même vers l’anglais.
Je ne peux pas quitter le français même en parlant la darija3 de ma famille.
La colonisation a laissé trop de traces là-dedans.
So I use English to talk about the things stuck in my throat.
I’m proud like an Algerian woman, but sometimes even tears come quicker than words:
I would have liked to offer you a life so different from the one you’ve lived: a true childhood, protection from the generals and their wives who abused you, keep food and basic necessities always on your table, make sure your husband’s not in harmways, and find the resources for your babies to stay alive.
I would have liked for you to be at the forefront of your priorities. Stop putting everyone else’s needs before yours. Be the main character of your life, like the life coaches say on TikTok.
I would have liked to have more time to thank you and celebrate you, get you more scoops of strawberry ice-cream on many more cones, feel your hands on my hair trying to straighten it, for a few more days.
J’aurais aimé soigner la chose en travers de ta gorge dont tu disais « Toutes les femmes de la famille l’ont, ma mère l’avait, ta mère l’a, et même mes nièces l’ont, c’est quelque chose dont on hérite toutes ».
Alors j’essaye de la soigner pour moi, et les générations futures, inspirer/expirer parfois ce n’est pas suffisant.
À la mémoire de ma grand-mère Kheira
1 Iels doivent jouer à l’international !
2 Inspiré du dicton états-unien Monkey see, monkey do (Le singe voit, le singe fait) qui décrit une forme élémentaire d’apprentissage où une personne acquiert un nouveau comportement ou une nouvelle habitude en observant les autres, comme à l’enfance ou à la petite enfance.
3 Dialecte en arabe.
NESRINE SALEM
Nesrine Salem est artiste plasticienne et autrice. À travers sa polyglossie écrite et visuelle, elle célèbre la pluralité de son identité et conduit ses recherches autour des traumatismes intergénérationnels, du tokenisme et des pratiques de deuil. Elle élabore des courts-métrages, des performances, et des installations. Ces sujets se rencontrent dans son premier court-métrage What is the residue left from setting a black puddle on fire ? / Que reste-il après avoir foutu le feu à une flaque noire ? (2023).
Pendant sa résidence dans le centre d’art Triangle-Astérides à Marseille, Nesrine Salem lance SABR/Collection (2024), une série de publications éditées chez Postfirebooks qui tend à rendre visible l’intersectionnalité des luttes et dont elle assure la curation.
Lauréate du prix Occitanie-Médicis (2025), Nesrine Salem est actuellement en résidence à la Villa Médicis dans le cadre de sa recherche 7or, libre en dialect algérien, qui sera présenté lors d’une exposition personnelle au Crac, à Sète, en octobre 2026.
Texte publié dans le cadre de l’exposition « Épatez La Galerie ! »